Bien vivre

Le génie de l’intuition : qui voit l’invisible est capable de l’impossible

24 juillet 2019

Regards croisés entre Hesna Cailliau et Patrice Georget sur l’intuition. 

Hesna Cailliau : Etymologiquement, le mot intuition désigne ce qui jaillit de façon directe et spontanée de  l’intérieur (in) vers l’extérieur( tio) sans passer par un raisonnement logique. Parce que l’intuition surprend voire dérange, il paraît plus facile et rassurant de suivre la voie de la raison : ses explications et ses démonstrations donnent l’impression de savoir où l’on va mais ce faisant le risque est d’étouffer sa créativité. Le mathématicien Henri Poincaré le dit bien : «  Avec l’intuition nous inventons, avec la raison nous démontrons, dès que nous commençons à raisonner nous coupons le processus de l’intuition. » L’inspiration surgit lorsque la pensée suspend son vol, dans les moments de relâchement, d’où le bienfait de la méditation désormais  reconnu par les neurosciences.

Patrice Georget :  Sur le thème de la prise de décision, il existe de nombreuses fausses croyances. Selon ces quasi dogmes, il faudrait se méfier de nos impulsions, de la première pensée qui surgit avant de décider. On nous laisse entendre qu’il faudrait prendre des précautions. Il existerait une bonne manière de décider en évaluant en amont, les chances de succès et les risques de l’échec. On propose même de nombreux manuels pour expliquer les meilleures voies possibles pour décider. On livre aussi tous les écueils à éviter. A force de vouloir trop d’objectivisme, on néglige des chemins possibles. Le génie de l’intuition est de nous permettre de décider dans des situations complexes, en tenant compte de tous les paramètres, incertitudes, rapidité, hiérarchisation de l’information. Dans les situations qui nous engagent fortement, l’intuition est une voie tout particulièrement pertinente.

Quels sont les processus au cours desquels la raison complexifie la décision?

Patrice Georget : Faites l’expérience de féliciter votre partenaire de tennis pour son magnifique coup droit si vous êtes en compétition, lors du changement de terrain. L’effet est surprenant. On peut penser que cette parole le consolide dans son jeu, mais non. Le coup droit est un geste que notre cerveau a automatisé. Le joueur fait ce coup sans y penser. Le rappel conscient de ce geste va induire un changement de mentalisation du comportement. Le geste qui était automatique va devenir soudainement conscient. La phrase anodine, voire un brin flatteuse va exercer sur lui un regard contrôlant qui déstabilise. En faisant attention, le joueur va commencer à multiplier les erreurs.

Qu’y a-t-il de miraculeux dans l’intuition ?

Hesna Cailliau : Pour toutes les grandes traditions de l’humanité, l’intuition est l’intelligence supérieure, « le 6° sens », « le 3° œil ». Elle permet de détecter les connexions subtiles que l’apparence oppose car dans la réalité tout est tissé comme les trames d’un tapis, de détecter aussi les signes annonciateurs des changements à venir car le futur est dans le présent à l’état de germe. A trop vouloir expliquer et démontrer, on risque de s’enfermer dans son raisonnement et de devenir sourd aux idées nouvelles et aveugles aux signaux faibles. Kodak a disparu parce que ses dirigeants n’ont pas pris suffisamment en compte les signes annonciateurs de l’essor du numérique, forts d’un business  model qui a fait ses preuves dans le passé. Dans un monde qui change de plus en plus vite, l’avenir appartient à ceux qui sont capables de percevoir avant les autres les tendances de fond mais aussi les dangers à venir ce qui permet d’agir en amont avant que la fissure ne devienne crevasse. Sentir, ressentir est désormais plus important que raisonner.

Dans le collectif, comment peut-on mieux gérer la prise de décision ?

Patrice Georget : Nous devons être vigilant à ne pas communautariser nos vies et nos décisions. La société est désormais très divisée, chacun joue et décide en fonction de sa partition sociale : gilets jaunes, anti gilets jaunes… Ce n’est qu’un exemple. La logique serait de ne pas nous définir en fonction de nos dissemblances, mais bien en fonction de ce qui peut nous « assembler », ce qui nous permet de faire « humanité ».