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Jules Verne, un homme au coeur des entreprises humaines

9 janvier 2023

Interview d’Agnès MARCETTEAU, chercheuse vernienne, directrice de la Bibliothèque municipale et du musée Jules Verne de Nantes  de 1997 à 2022

Jules Verne, sceptique ou optimiste pour le monde ?

Au-delà de son humour, une des choses que je préfère chez Jules Verne est son scepticisme. Jules Verne sait qu’il y a des limites aux entreprises humaines. Je pense en particulier au Tour du monde en quatre-vingts jours. A la fin du roman, Phileas Fogg arrive à Londres. Il est persuadé qu’il a perdu son pari. Puis, il réalise qu’il l’a finalement gagné. Revers de la médaille : cela lui a coûté autant que ce qu’il a gagné. Mais, « quelque invraisemblable que cela puisse paraître », il a gagné l’amour avec Mrs Aouda. Selon Jules Verne, la vie vaut la peine d’être vécue sans trop d’illusions. Dans toute aventure humaine, il y a des contrastes, des réussites du moment et des revers de médaille.

Une invitation à l’humilité

Jules Verne est persuadé qu’il y a souvent nécessité de repartir de zéro. Dans Vingt mille lieues sous les mers, le sous-marin le Nautilus disparaît. Seul, le témoignage d’Aronnax demeure. Dans L’île mystérieuse, et L’éternel Adam, les choses se construisent, se défont. Les personnages reconstruisent en partant de rien.

Intuition ou anticipation ?

Comment est-ce possible que Jules Verne ait pensé le sous-marin de Vingt mille lieues sous les mers ou bien encore la conquête spatiale dans De La Terre à la Lune avant leur existence ?

Jules Verne n’invente rien : il extrapole une technologie balbutiante dont il développe le potentiel, en s’appuyant sur les connaissances et recherches scientifiques de son époque. Quand il s’attaque à De la Terre à la Lune, les connaissances scientifiques étaient suffisantes pour penser que l’Homme irait un jour dans l’espace. Comme elles ne l’étaient pas suffisamment pour affirmer que l’Homme pourrait alunir, ses personnages ne se posent pas sur la Lune.

Le tout technologique peut-il amener à la mégalomanie ?

Le fil rouge de l’œuvre de Jules Verne est l’aventure humaine. Que va-t-on faire du savoir technique, des machines extraordinaires que l’on invente ? Peut-on être emporté par la mégalomanie ? Il met au centre la place de l’homme, sa petitesse, ses limites et sa responsabilité par rapport aux machines qu’il crée.

Comment Jules Verne transmet-il des leçons de vie ?

Il crée en particulier des personnages assez excentriques pour devenir des archétypes, qu’il confronte à des situations extrêmes. Dans Voyage au centre de la Terre, le professeur Lidenbrock fait monter Axel en haut d’un clocher et lui donne une leçon d’abîmes : tout peut basculer à tout moment dans la vie. Jules Verne questionne ainsi la condition humaine, sa chute possible quand nous allons trop loin dans nos excès. Dans De la Terre à la Lune, il écrit  « la joie de J.-T. Maston ne connut plus de bornes, et il faillit faire une chute effrayante. » Cette phrase extraordinaire appelle à l’humilité pour éviter de chuter.

Entrepreneurs : les héros de Jules Verne ont de l’audace 

Les héros de Jules Verne osent. Ils croient en la ressource humaine et technologique. Michel Strogoff, Phileas Fogg, l’ingénieur Cyrus Smith sont des entrepreneurs. Ils ont la ténacité, le talent et la capacité d’invention. Les difficultés n’empêchent pas ces héros verniens d’avancer.  Jules Verne invite à l’audace.

Les risques et les limites du risque

Avec la technologie, la tentation est grande de vouloir dominer le monde, d’entreprendre contre vents et marées. Les talents doivent savoir où il faut s’arrêter. En pensant qu’ils vont dominer le monde, les héros verniens peuvent courir à leur perte. Cela illustre la complexité du monde, et la difficulté de la condition humaine prise entre l’envie de progrès et les risques du progrès.

De la Terre à la Nature ? En quoi Jules Verne est-il un écologiste de la première heure ?

Jules Verne remet la nature au centre, avec une sensibilité véritablement écologiste. Il craint beaucoup les destructions que l’homme peut infliger à la nature et l’épuisement des ressources naturelles. Il l’évoque dans Vingt mille lieues sous les mers. Dans certains romans, il présente des visions d’apocalypse de nature détruite par des installations techniques comme un chott tunisien transformé en mer intérieure à des fins d’irrigation ce qui produit un raz de marée. Dans Sans dessus dessous (trilogie avec De la Terre à la Lune et Autour de la Lune), les hommes entreprennent de modifier l’axe de la terre, au risque de provoquer un tsunami.  

Jules Verne, récits d’aventure ou œuvre pour comprendre le monde ?

C’est une œuvre faussement simple qu’il faut savoir lire entre les lignes. Replongez vous dans cette œuvre avec un œil neuf !