La profusion des récits, l’œuvre d’un travailleur acharné et secret
C’était un énorme travailleur. Il se levait à cinq heures le matin, écrivait et produisait plutôt en secret. Jules Verne n’avait pas une écriture instinctive. Il reprenait inlassablement cinquante à soixante fois chaque phrase au crayon. Sa femme recopiait plus tard à l’encre le manuscrit. Jules Verne n’avait pas les facilités d’un Balzac qui écrivait dans n’importe quel lieu, y compris balloté dans une diligence, de jour comme de nuit. La profusion des récits a pu exister car Jules Verne avait une organisation de vie serrée, minutieuse. Écrire était son métier même s’il a eu plusieurs vies professionnelles avant.
Un marin dans l’âme qui comprend tôt la place de l’océan
Enfant, Jules Verne vivait à Nantes. La ville était déjà un port de commerce très actif. Il assistait aux arrivées et départs des bateaux, les chargements et déchargements des cargaisons. Ce ballet en mouvement exerçait une fascination sur lui. Il aimait s’isoler à proximité de la mer, c’était sûrement pour lui un refuge, il se mettait dans une barque sommairement aménagée le long du rivage et scrutait l’horizon. C’était un homme de mer avant d’être un homme de la nature. Peu de ses romans n’évoquent pas la mer ou les océans. Il est l’un des premiers à comprendre l’importance de la mer à la surface de la terre.
Contrairement à la légende, il n’était pas un spécialiste de la marine ou des sciences. Il puisait dans les connaissances de son époque et prenait conseil auprès de spécialistes. La solitude du marin au milieu de l’océan lui parlait. Marin dans l’âme, son œuvre décrit la mer. Il invite le lecteur à la découverte ou redécouverte des espaces océaniques et maritimes connus et inconnus.
Un chercheur inlassable, un artiste qui créait des mondes
Le XIXe siècle a été une période phénoménale de mise à disposition de l’information dans tous les domaines avec l’essor des sciences, le développement des transports, des découvertes et des explorations multiples. L’histoire de l’humanité intéresse. Il est arrivé à un moment charnière de l’histoire. Face à la profusion d’informations, il avait le génie de croiser différentes sources de trouver des correspondances et des coïncidences. Il extrapolait à partir des données disponibles. Il était doté d’une grande capacité de déduction et d’intuition doublée d’une capacité d’analyse. Enfin, il prenait du temps pour chaque chose. Tel un chercheur, il puisait l’information pour étayer ses écrits. Véritable artiste, il inventait des mondes dans le secret de son bureau, comme dans un atelier.
Jules Verne met en scène des héros qui donnent envie de vivre et de s’engager
Sa longue expérience de l’écriture du théâtre lui permet de créer des héros attachants et hauts en couleur. On s’identifie facilement à Phileas Fogg. Dans la tradition d’Homère et de Shakespeare, les héros de Jules Verne donnent un sens à l’action. Vivre est est porteur d’espoir. Avancer vaut le coup. Il a réussi à imaginer des stéréotypes d’histoires mémorisables que chacun peut se réapproprier.
Jules Verne s’affranchit des frontières
Au 19ème siècle, les auteurs européens inventaient des héros européens. Jules Verne mettait lui en avant des héros du pays dans lequel le récit se déroulait. Il ne créait ni catégorie, ni échelle de valeurs. C’était rare à l’époque. Une anecdote : en Amérique du sud, on pense que je suis vénézuélien en raison du livre Super Orénoque. Là-bas, Jules Verne est identifié comme un auteur local. Cela lui confère une forme d’auteur universel qui parle aux hommes et aux femmes avant tout, bien au-delà des frontières géographiques.
Le personnage qui m’a bouleversé : Mistress Branican, mieux que Karen Blixen
Je suis attaché à l’héroïne Mistress Branican. Elle m’a bouleversé. Elle aurait pu être une féministe avant l’heure. Bien avant Karen Blixen. Elle traverse des choses terribles, elle a cette foi et elle triomphe avec ce qu’elle est. Jules Verne la décrit sans aucun modèle. On se demande d’où il s’inspire pour ce personnage. Cette femme arrive à survivre au milieu de drames. A chaque fois, elle parvient à soulever des montagnes ; elle devrait être une figure de proue du mouvement féministe de l’époque. Je suis plus marqué par elle que par les personnages des autres romans plus connus.